Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée (3ème épisode)

Troisième épisode de notre feuilleton présidentiel : Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée. 
 Le temps d'une campagne présidentielle, où tout deviendrait enfin possible, prenons-nous à rêver d'un Président qui incarne vraiment le pays. Qui parle aussi bien au nom de la France d'en bas que de la France d'en haut, de l'ouvrier du Creusot que du col blanc de la Défense, de l'éleveur du Massif central que du céréalier de la Beauce, du client du Fouquet's des Champs-Elysées que de celui du bar des sports de Saint-Dizier. A défaut d'exister, Présidentielle 2012 a imaginé à quoi ressemblerait ce Président aux couleurs de la France. Ce personnage de fiction est le héros de notre feuilleton Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée.

         Le puits sans fond de la démagogie de Chotard n'expliquait pas tout. Le premier responsable de sa défaite, c'était lui : Edmond Bellichian. Avec le recul, ses erreurs lui apparaissaient clairement. Elles tournaient en boucle dans sa tête pour venir le tourmenter jusque dans ses rêves. Sa  campagne à l'économie, sa déclaration de candidature du bout des lèvres, son absence de programme.  Qui se résumait à un chèque en blanc demandé aux électeurs, avec  son bilan gouvernemental en guise de caution : une France pacifiée, gérée à l'aune du consensus, plutôt que gouvernée à la lumière d'une politique. Tout cela n'était guère exaltant, en tout cas n'augurait pas de lendemains qui chantent. Son ambition pour le pays ? Elle se bornait aux limites étroites qu'autorise l'orthodoxie économique libérale : une France qui remet son sort entre les mains d'une Europe de fonctionnaires apatrides. Pas de quoi faire rêver l'électeur qui croit toujours en son pays. 
           Au fond, son meilleur atout c'était la répulsion que Chotard avait exercée de tout temps sur l'électorat modéré, et son ressort secret, l'incapacité à diriger le pays qu'il lui prêtait. 
          Mais Chotard, lui, ne s'était pas économisé. Si son programme était aussi consistant qu'un trompe-l'oeil, en vociférant, en tonitruant à longueur de meetings contre tous les maux auxquels était en butte la société française, il s'était finalement posé en s'opposant. Il avait usé du verbe quand Bellichian se contentait d'aligner des chiffres. L'orateur avait triomphé de l'expert-comptable. "Il y a deux façons de prendre un pays, aimait à rappeler Chotard : par la force ou par le verbe. En démocratie, l'alternative est vite tranchée." Sans doute, avait-il aussi manqué à Bellichian cette ambition communicative que Chotard parvenait si bien à faire partager. Celle qui sépare le pur-sang politique du technocrate blanchi sous le harnais.

            Bellichian traînait son désarroi comme un boulet. Il n'osait plus se regarder dans une glace de peur d'y contempler l'image d'un loser. Son regard, autrefois perçant et dur, ne lançait plus que de timides lueurs, ses épaules tombaient, sa démarche s'était alourdie. D'ordinaire si coquet, il en arrivait maintenant à se négliger. Certains matins, il oubliait même de se raser. Il y avait désormais chez lui ce je ne sais quoi qui sépare les yeux du vainqueur de ceux du vaincu, le dynamisme de la résignation, l'homme bien portant du dépressif. "Inutile ! me voici devenu aussi inutile que Chotard quand j'étais Premier ministre", se répétait-il à longueur de journées. Il avait envisagé, un temps, d'entamer une psychanalyse. Mais la théorie qu'avait échafaudée le praticien, qu'un de ses amis lui avait recommandé, pour rendre compte de son état, l'avait dissuadé à tout jamais de recourir aux services de cette corporation. La recherche du pouvoir s'apparentait, selon ce disciple de Freud, à celle du coït permanent, et, s'en trouver soudainement privé, équivalait à se voir amputer de ses virils attributs. Rien de moins. "Ce monsieur s'est imaginé que j'étais, comme maints de mes confrères, sujet au syndrome de la secrétaire : que je lui demande sa petite culotte quand elle m'apporte une tasse de thé."
            Sans doute, ce qui le blessait le plus, c'était la part de fatalité que comportait son échec. Plus que les maladresses de sa campagne, c'est sa personne qu'avaient rejetée les électeurs. Si Dieu a donné aux hommes - et a fortiori aux politiciens - le langage pour dissimuler ce qu'ils pensent, sans doute ne parviendront-ils jamais à modifier leur comportement au point de cacher ce qu'ils sont. L'être remonte toujours à la surface, contamine le comportement. Le caractère l'emporte sur la volonté. En dernier ressort, ce que l'on est, prime toujours, dans le regard des autres, sur ce que l'on souhaiterait être. Bien sûr, Chotard avait réussi à donner le change. Mais l'instabilité était le fond même de sa personnalité. Seul l'instinct de la conquête du pouvoir restait immuable chez lui, lui tenait lieu de personnalité. De là son formidable penchant à incarner des idées, moins en fonction de ses convictions, qu'en fonction de l'écho positif qu'elles étaient susceptibles de recueillir dans l'électorat.
            C'était la triste preuve par la défaite que l'on reste dans une large mesure prisonnier de ce que l'on est, que tout ce qu'on peut faire pour contrecarrer ce que la nature nous a faits ne peut faire illusion qu'un temps. Que les hommes ne changent jamais sur le fond, quand bien même ils mettent toute leur ardeur à faire croire le contraire. Les électeurs qu'il avait amadoués avec brio un temps ne s'y s'étaient finalement pas trompés. Bellichian incarnait, jusqu'à la caricature, le haut fonctionnaire coupé du monde, qu'avait si habilement vilipendé Chotard, tout au long de sa campagne. Il avait eu beau forcer sa nature jusqu'à tâter le cul des vaches, écluser un petit blanc sur le comptoir en compagnie d'éboueurs, monter avec sa femme sur une table en fin de banquet républicain pour galvaniser ses troupes, tout cela sonnait tristement faux. Ce n'était pas un candidat en campagne électorale, c'était Monsieur Hulot en goguette. A la différence toutefois que son cinéma inclinait plus à la compassion qu'au sourire.
            "Mon pauvre Edmond, à ce train-là, si j'avais eu quelques années de moins, vous m'auriez demandé de me déshabiller en public, pour agrémenter vos fins de banquets !, avait fulminé un soir, au bord de la crise de nerfs, son épouse Marie-Bernadette, dans la voiture qui les raccompagnait d'un meeting de province vers Paris.
            - Ah ! si vous saviez ce qu'il m'en coûte, ma mie,  de vous rabaisser à ce point. Mais enfin il est trop tard pour reculer. Puissions-nous en rire un jour!"
            Ce qui ajoutait plus encore à sa détresse, c'est qu'il n'avait pas lieu de se consoler dans l'espoir d'une autre candidature. Son âge le lui interdisait. Contrairement à Chotard, il n'aurait pas de chance supplémentaire. Le destin présidentiel ne sonnerait plus à sa porte.
            S'il n'avait tenu qu'à lui, il se serait envolé, au soir même du deuxième tour, pour une destination lointaine, située de préférence sous les Tropiques. Entre mer de corail et cocotiers, se fait-on sans doute plus facilement à la perspective de recouvrer l'anonymat républicain. Mais les devoirs ultimes de sa charge de Premier ministre, commandaient qu'il bût le calice jusqu'à la lie. Dans l'attente de l'entrée officielle en fonctions du nouveau Président, il dut assurer la transition jusqu'à la formation du prochain gouvernement, en expédiant les affaires courantes, puis, en tant que deuxième personnage de l'Etat, dut assister aux interminables cérémonies officielles de passation des pouvoirs, entre Chotard et son prédécesseur. L'annonce de la nomination d'Adrien Joucé à Matignon sonna comme le coup de grâce. Le bras droit de Chotard, qui n'avait rien à lui envier sur le chapitre de l'arrogance et de la satisfaction infinie que lui inspirait sa personne, lui ressemblait trop pour qu'il ne le détestât pas cordialement. Intimement convaincu que sa suprématie intellectuelle le condamnait à vivre jusqu'à la fin de ses jours cerné par les crétins, il n'avait pas pour habitude de faire dans la nuance, y compris avec ses supérieurs. Bellichian en avait fait les frais durant son séjour à Matignon. A maintes reprises, au cours de réunions interministérielles, Joucé, alors au Quai d'Orsay, ne l'avait pas envoyé dire au Premier ministre, ne se privant pas de lui couper la parole, de contester le bien-fondé de certaines de ses décisions en matière de politique extérieure. Bellichian en avait rapidement pris ombrage. D'autant que les arguments, qui étayaient les fréquents désaccords de son ministre des Affaires étrangères, emportaient le plus souvent l'adhésion.

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