Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée (1er épisode)

Premier épisode de notre feuilleton présidentiel : Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée. 
Le temps d'une campagne présidentielle, où tout deviendrait enfin possible, prenons-nous à rêver d'un Président qui incarne vraiment le pays. Qui parle aussi bien au nom de la France d'en bas que de la France d'en haut, de l'ouvrier du Creusot que du col blanc de la Défense, de l'éleveur du Massif central que du céréalier de la Beauce, du client du Fouquet's des Champs-Elysées que de celui du bar des sports de Saint-Dizier. A défaut d'exister, Présidentielle 2012 a imaginé à quoi ressemblerait ce Président aux couleurs de la France. Ce personnage de fiction est le héros de notre feuilleton Notre Président, un Français d'en bas à l'Elysée.

Quel coup de théâtre ! Quel coup de tonnerre ! Quel pied de nez du destin et des Français ! Comment avait-il pu perdre cette élection gagnée d’avance ? Comment avait-il pu  se laisser coiffer sur le poteau par Chotard, « ce loser pathétique », comme il le surnommait en privé ?
          Le premier moment de stupeur passé, une colère froide l'avait envahi. Dans son esprit, c'était plus qu'une défaite. Une injure impardonnable. De celles que ni le temps ni la volonté n'effacent de la mémoire. "Ah ! décidément, ces Français, on ne fait peuple plus ingrat !", s'était-il étranglé. "N'ai-je donc pas assez fait pour eux étant Premier ministre, pour me voir remercié comme le dernier des députés ? 45% des voix au second tour de l'élection présidentielle, ce n'est pas un score, c'est l'aumône, des miettes ! Au fond, c'est le signe qu'ils ne me méritent pas." Bien sûr, il s'était juré de ne rien laisser paraître en public de son exaspération.
         Pour faire bonne figure, et par tradition républicaine aussi, il avait prononcé, dès 20 heures, l’allocution rituelle dans laquelle le perdant rend hommage à son vainqueur. En prononçant le nom de Chotard, ses supporters sifflèrent comme un seul homme. Ah ! qu'il aurait donné cher pour joindre ses huées aux leurs. Ah ! qu'il se serait senti soulagé de crier combien il méprisait ce candidat qu'il connaissait trop bien pour le savoir à jamais indigne de la magistrature suprême.  Mais il lui coûtait tant de voir se prolonger, par leur charivari, cet exercice obligé, qu'il n'y tint plus. D'un ton cassant et méprisant, il leur intima l'ordre de se taire. Avec ce soupçon de colère dans la voix qui fit entendre : "Fermez-la !" Tout à leur stupeur, ses supporters n'eurent pas le mauvais goût d'en rajouter en le sifflant. Les caméras, qui ne ratèrent rien de la scène, suffirent à le ridiculiser pour longtemps. Et la presse du lendemain, cruelle au vaincu, d'enfoncer le clou : "S'il s'est trouvé quelques Français pour regretter de ne pas lui avoir accordé leurs suffrages, à coup sûr cet épisode aura achevé de leur ôter tout remords", fustigea un éditorialiste, pourtant bien en cour à Matignon. Lors de la campagne, il s'était distingué par un long portrait de Bellichian, publié sous forme de feuilleton dans Le Figaro. Dès la première phrase, il était clair que leur auteur était d’accord sur tout avec son grand homme et sur rien avec son ex-ami de vingt ans, Chotard. Ce qui n'avait pas manqué de le désigner à la vindicte des partisans de ce dernier. Et lui valut de rejoindre illico la liste interminable des condamnés au purgatoire. Maintenant que Chotard, la rancune chevillée au corps, l'avait emporté, sa diatribe sonnait comme un acte de contrition et d'allégeance au nouveau monarque.
                Le Canard Enchaîné n’avait pas raté l’occasion de se payer la tête de celui qu'il appelait le Marquis de Matignon : "Bellichian sort par la grande porte... de son mépris", avait titré l'hebdomadaire à sa une. Et de rapporter que, le soir de sa défaite, il avait fui comme la peste le banquet donné en son honneur. Ce qui lui valait d'être traité de "politicien plus cavalier que chevaleresque". Bellichian n'en était pas resté là sur le chapitre de la mauvaise humeur. A la sortie de son Q.G. de campagne, il avait refusé la poignée de main de Laffré.
                A la décharge de Bellichian, Laffré n'avait pas volé ce camouflet. Le directeur de l’institut de sondages politiques le plus en vue de la capitale, dont Matignon était devenu le premier client, n'y était pas allé de main morte pour endormir sa vigilance. Sous des dehors scientifiques, sa flagornerie avait atteint des sommets. Un grand journal du soir, d'ordinaire réputé pour son sérieux, s'était même fait son complice. Six mois avant l'élection présidentielle, il avait ouvert ses colonnes à un point de vue de Laffré. Dans lequel celui-ci annonçait que la victoire de Bellichian était inéluctable. Les statistiques avaient remplacé les électeurs, et le présent l'avenir dans ses propos. Peut-être aussi avait-il un peu confondu ses désirs avec la réalité?
                Bellichian, qui n'aimait rien tant que de dissimuler à ses proches le plaisir qu'il éprouvait à ce que l'on parle de lui en termes flatteurs, avait soupiré : "A force d'écrire que j'ai déjà gagné dans toutes les gazettes, ces maudits sondeurs vont finir par me faire perdre. Le jour du scrutin, me croyant déjà élu, mes supporters vont partir en week-end plutôt que de se rendre aux urnes." Bien sûr il n'en pensait pas un traître mot. Il trouvait tout naturel que les analystes des instituts d'opinions aient de sa personne la haute opinion qu'elle lui inspirait de toute éternité. Et il voyait dans leurs enquêtes la preuve par l'arithmétique de sa supériorité.
                Mais, en ce jour de défaite, il n'avait plus de mots assez durs, pour vilipender Laffré et ses confrères. "Comment ai-je pu me laisser abuser à ce point par ces oracles des temps modernes ? On les élève au rang de scientifiques, quand ils ne méritent même pas d'être considérés pour ceux qu'ils sont : de vulgaires marchands d'opinion !", pesta-t-il dans la voiture qui le reconduisait, pour la dernière fois, de son Q.G. de campagne à son domicile parisien, avenue Henri-Martin.
                Au fond, ce n'était qu'un juste retour des choses qu'il devienne à présent la victime de ces diseurs de bonne aventure politique. Il était puni par là où il avait péché.

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