Le nouveau petit père des peuples

Les outsiders de la présidentielle, Bayrou et Le Pen, commencent à furieusement se ressembler. Plus exactement, Bayrou se "marinise" à vue d'oeil. Après l'OPA contre nature de Marine Le Pen sur les classes populaires (pour ceux qui auraient la mémoire courte, rappelons qu'en comparaison du programme économique de son père en 2002, le programme de l'ayatollah républicain Newt Gingrich est un manifeste communiste) Bayrou l'européen jusqu'au-boutiste, prétend à son tour parler en leur nom.

Jeudi dernier, à Dunkerque, une ville dont le nom même évoque l'ouvrier et l'usine, il a prononcé un discours surréaliste, dans lequel il a prétendu incarner le peuple français au point de parler en son nom. "Nous sommes là pour ressaisir le destin de la France (sic). D'habitude, j'essaie de fuir les grands mots mais, là, je parle en père de famille, au nom de tous les pères et de toutes les mères de famille (...) au nom des jeunes qui sont là et des jeunes qui viendront: nous avons entre les mains le destin de la France".

A défaut de dérouler un programme, il a renchéri dans l'incantation, au point que son discours a carrément viré à la méthode Coué sinon au ridicule. "A l'enlisement, nous allons résister; à l'appauvrissement, nous allons résister; à la fuite des activités, nous allons résister; aux compromissions, nous allons résister; aux priviléges excessifs et indus, nous allons résister; à l'illettrisme, nous allons résister; à l'argent roi, nous allons résister; à l'affaiblissement, nous allons résister", a-t-il notamment déclaré. "Résister, cela impose qu'un peuple se réforme, prenne en main son propre destin", a ajouté l'ancien ministre centriste en employant également à des multiples reprises le mot "peuple", qui "paraît-il n'est pas à la mode". Un usage effréné du mot "résistance" qui sonne - sans doute une pure coïncidence - comme un appel du pied halluciné au résistant à la mode Stéphane Hessel.

Complètement désinhibé, Bayrou a repoussé les limites du comique et du ridicule politiques réunis, au terme de son discours. Déplorant que "l'injure suprême dans le monde politique, ce soit devenu 'populiste'", l'ex-ministre de Chirac, qui a "grandi dans un tout petit village des Pyrénées""il n'y avait pas de nobles ni de bourgeois" et qui est le fils d'un homme à qui on parlait "comme à un bouseux", a revendiqué de "parler au nom des petits, des obscurs, des sans-grade".

Même le Sarkozy de 2007 n'avait pas osé une telle mystification.

"L'enjeu de cette élection c'est que, ce que nous avions perdu", comme le "produire en France", "nous allons le retrouver", a-t-il insisté en se référant aux "Quatre cavaliers de l'Apocalypse", qui sont aujourd'hui, selon lui, "le chômage, la chute du pouvoir d'achat, les déficits et la dette". Et de renvoyer, une nouvelle fois, PS et UMP dos à dos : "Je les appelle les PPP : partis provisoirement principaux." Quel talent pour trouver les mots qui font mouche ! Bayrou a raté une belle carrière de publicitaire.